La mémoire ne tient qu’à un fil

23 janvier 2014

L’ordinateur a de la mémoire mais aucun souvenir, moi, j’ai mes souvenirs mais plus de mémoire. C’est sur cette constatation que j’ai décidé de faire alliance avec lui pour continuer à avancer de façon cohérente.

Victime d’une « longue maladie » qui m’a imposé ce voyage, je suis comme beaucoup de personnes dans ce cas dépendant d’un grand nombre de drogues diverses et variées qui ont toutes leurs effets secondaires. Ce qui est moins facile à contrôler par les médecins qui prescrivent ces médicaments, ce sont  leurs interactions et les dommages collatéraux de ces collisions qui ne devaient peut être pas avoir lieu. Dans la majeure partie des cas, les médicaments soignent une maladie mais ne tiennent pas compte de la diversité des malades. Conséquence direct de ces traitements, ma mémoire s’évapore de jours en jours au point de me faire peur à chaque instant.

Je n’ai que 55 ans et pourtant je cherche mes mots comme un petit vieux usé par les années  et les souvenirs qui se mêlent.

A chaque déplacement en voiture j’essaye de me concentrer sur le parcours, souvent habituel, pour ne pas oublier de tourner là où souvent je suis tenté de continuer tout droit, j’ai bien trop souvent entendu ma passagère ou mon passager me dire : « mais où tu vas ? », et pourtant très souvent j’oublie à partir d’un certain temps de me concentrer et je me rate une fois de plus à ce foutu carrefour.

Le soir autour du repas nous discutons de choses et d’autres et faisons tous références à des noms de films, de livres, ou de personnes que nous fréquentons tout simplement, et là pour moi c’est encore un problème d’aiguillage qui fait que le nom ne fait plus partie de mon thesaurus. J’ai des trous noirs, des absences, des pertes de la mémoire courte. Il n’y a rien de plus énervant que de constater ces défections de neurones, rien de plus annihilant que de voir mon entourage faire comme si de rien n’était.

J’ai effectué des exercices de stimulation du cerveau, de la relaxation, du yoga…
J’ai tout essayé avec des aliments qui boostent la mémoire, des céréales complètes, des myrtilles, des betteraves rouges, du poisson sous toutes ses formes, de l’huile de noix, des protéines, des glucides, des lipides, des vitamines, des minéraux et des oligo-éléments … tout.
Résultat, j’ai pris du poids, mon compte en banque en a perdu, mais il y a toujours un courant d’air entre les deux oreilles qui favorise l’évasion de mes idées.

Le seul avantage que j’ai conservé de feu ma carrière dans l’informatique, c’est une certaine rigueur, du moins des habitudes bien ancrées qui consistent systématiquement à démarrer sa journée en consultant ses mails. Depuis que l’informatique existe, je vis avec. Comme tous les responsables d’entreprise j’étais doté d’un nombre de gadgets qui me permettaient d’être connecté même au fin fond du désert à condition qu’il y ait du réseau. J’ai bien entendu conservé ces gadgets qui font partie de moi en quelque sorte et c’est grâce à eux que je peux vous écrire aujourd’hui.

Ma mémoire ne tient qu’à un fil d’un diamètre de quelques millimètres doté à son extrémité d’une prise RJ45 qui permet à l’ordinateur de se nourrir.
Chaque jour je déverse mon flot de souvenirs pour enrichir sa mémoire et, chaque matin je lis les messages que je me suis envoyé moi-même la veille via mon smartphone au moment où j’ai eu l’idée. Pas question de la laisser s’échapper cette idée. J’en ai tellement eu qui se sont évaporées dans la nature, qui m’ont laissé seul comme un con devant ma feuille blanche symbolisée par la lumière de mon écran.

Alors le voyage continu, le carnet de voyage s’enrichit un peu moins qu’avant, mais avec ce reflex informatisé, j’arrive à rattraper quelques brides de vécu pour continuer à vous faire voyager avec moi encore un moment.

Le parlement des invisibles

17 janvier 2014

Pierre Rosanvallon est Professeur au Collège de France. Il a publié de nombreux ouvrages sur l’histoire de la démocratie et ses métamorphoses contemporaines, dont notamment La société des égaux (Points-Seuil, 2013), il est à l’initiative du site Internet raconterlavie.fr. Ce site veut mettre en avant à travers la publication de petits récits le vécu de tout un chacun, la vie de tous les jours. Il veut répondre au besoin de voir les vies ordinaires racontées, les voix de faible ampleur écoutées, les aspirations quotidiennes prises en compte. En faisant sortir de l’ombre des existences et des lieux, Raconter la vie veut contribuer à rendre plus lisible la société d’aujourd’hui et à aider les individus qui la composent à s’insérer dans une histoire collective.
J’ai découvert ce site suite à une interview radiophonique de Pierre Rosanvallon et ai eu tout de suite envie de participer à cette initiative. Comme plus d’un millier de personne, j’ai rejoint la communauté qui s’est créée sur le site et j’ai proposé un récit construit sur des extraits retravaillés de ce blog. Ce récit a été sélectionné et publié en ebook sur raconterlavie.fr. Je suis heureux de vous présenter « la patience du patient » que vous pouvez lire ou télécharger gratuitement sur raconterlavie.fr.

Les bonnes résolutions

09 Janvier 2014

Il y a des traditions que l’on a plus ou moins envie de respecter, celle des bonnes résolutions pour la nouvelle année en font partie. Je vais donc vous exposer mon point de vue sur mes bonnes résolutions.

L’année 2014 est pour moi le départ pour une troisième année de voyage avec ce cancer de la prostate. L’année précédente a été particulièrement lourde à gérer, en dehors du poids des traitements, à cause de tous les problèmes matériels qui ont été créés par les banques et les assurances, que j’ai portés comme un deuxième cancer, une initiation à la déshumanisation de la société qui passe par l’intérêt avant toutes choses.

Mes résolutions :

Je vous jure d’être toujours aussi pugnace et impertinent dans ma lutte contre ce système qui profite de la faiblesse des personnes pour gagner du temps et préserver du capital qui ne lui appartient pas.
Je ne reviens pas sur mon envie de laisser faire le temps, que j’exposai dans mon précédent message, cela a porté ses fruits plus rapidement que je ne l’imaginai puisque la BNP et la Cardif ont fini par lâcher prise et me remboursent tous les trop perçus, je vais simplement essayer de doser les efforts sur ceux qui le mérite.

Je m’engage à bien écouter mes toubibs et surtout à bien veiller à ce qu’ils ne soient pas sourds à mes demandes, j’ai encore l’impression de parler dans le même dialecte qu’eux et donc de me faire comprendre. La liberté au sens large, offre le choix du ton et mes droits de patient qui cherche à être correctement informé de son état n’ont pas varié.
La fréquentation régulière des hôpitaux permet d’affuter son regard sur la déshumanisation de la société et la fragilité des liens sociaux.
Vous avez rendez-vous au bâtiment B, à l'entrée vous glissez votre carte d'assuré social dans une borne qui vous donne le ticket n° 385, vous êtes appelé par un bip et votre numéro s'affiche sur un écran. Vous devez vous rendre au bureau C5 pour confirmer votre rendez-vous. Une hotesse d'accueil me dit bonjour, trop heureux d'avoir un contact humain je réponds aimablement, cette dernière met fin à ma tentative de communication: "vous avez votre carnet, j'ai besoin de votre numéro d'enregistrement pour vérification". Merde ! Je suis de nouveau un numéro. Elle nous envoie dans la salle d’attente n°2, où tout le monde se regarde, et personne ne se parle, on jauge l’état de l’autre. L'endroit est plutôt austère, un grand couloir vitré, où l'on peut voir le bâtiment A. Il y a des magasines à disposition sur une crédence pour exposer toute la richesse et l'inventivité des fabriquants de péruques. Un autre bip avec l’affichage du même n° vous permettra de voir votre toubib pendant 10 minutes. Vous êtes sur une autre planète…

Ma situation est loin d’être la pire et même si j’ai mes périodes de fatigues intenses et de douleurs, je garde une autonomie relative. Je finissais mon dernier billet par ces mots : « Le voyage continu avec ce compagnon encombrant, mais je le fais à la surface avec de l’espace, et ça, c’est un peu la liberté, concept qui m’est très cher ». Ça n’empêche pas de continuer à lutter pour éviter de casser ces liens sociaux dans les relations de tous les jours et particulièrement dans mes rencontres autour de cette maladie.

Je vais arrêter de me regarder de trop près dans la glace, mon aspect physique, transformé par la maladie et les médocs, entre Pomme d’api et Quasimodo ne me convient pas mais il ne changera plus, si ce n’est en pire, malgré mes lamentations.

Je vous garantit de continuer à rédiger toutes les informations sur mon parcours dans ce milieu hospitalier et sur l’évolution de mon état de santé, non pas pour m’apitoyer sur mon sort, mais pour vous donner l’information la plus claire sur mes réactions aux différents traitements en espérant que ces notes vous aident en tant que malade ou qu’accompagnant(e).

Enfin je vais essayer de centrer un peu plus mon attention sur mes proches que j’ai embarqué dans ce voyage comme des passagers clandestins qui gardent le silence et m’écoutent sans trop me contrarier. J’use peut être un peu trop de cette position « malade »…

Le temps de la surface et de l’espace

01 Janvier 2014

C’est maintenant que le temps m’est compté que me prend l’envie d’apprécier ce temps.
En dehors de mon enfance et de mon adolescence où j’ai pris tout le temps de ne pas prendre conscience de cette notion, j’ai passé toute ma vie à courir après je ne sais quoi. Adolescent je cultivais l’art de ne rien faire, adulte je suis devenu hyperactif, au point de me sentir en danger quand je n’avais rien à faire. Il y a deux ans à l’annonce de mon cancer, j’ai paniqué par rapport à mon boulot, ma petite entreprise, mon compte en banque et le confort de ma famille qui me paraissait en danger si je ne pouvais plus travailler.

Bref une louche d’orgueil pour un zest de réalisme. Je viens de passer deux ans la tête sous l’eau à essayer de combiner mes obligations de soins dû à mon cancer et ce que je m’obligeais pour le maintien de mon entreprise. Je viens de passer deux ans à refuser de voir que le temps m’était compté et qu’il y avait des priorités dans la vie, des priorités que je remettais toujours au lendemain.

Je vivais la tête sous l’eau, conscient de mon état, avec la certitude d’être dans le vrai puisque convaincu de mon indispensable présence pour faire tourner la roue.

Je ne sais pas ce qui a provoqué ce changement, mais le fait est que je suis remonté à la surface et que l’espace s’ouvre à mes yeux.

Les dernières semaines ont été particulièrement éprouvantes avec cette bataille administrative pour faire reconnaître mes droits par la BNP et La Cardif qui n’ont toujours pas répondus favorablement à mes demandes légitimes et contractuelles. Il me reste encore un long chemin à parcourir pour redresser cette situation, mais le moral est passé au beau fixe et j’ai simplement décidé de laisser faire…

Ils vont finir par lâcher, comme ils le font toujours par obligations légales et n’en sortiront pas plus glorieux pour ceux qui ont interceptés ces épisodes.
Ma petite entreprise va continuer de vivre sans moi et devenir la motivation de personnes plus jeunes et motivées.

Du moment où j’ai pris conscience de ce besoin de respirer à la surface, mes insomnies ont peu à peu disparu, ma moitié se plein de mes ronflements et je ne me lève plus avant 9 :00 bien sonnée.
Je fourmille d’idées pour mes occupations quotidiennes et n’ai plus peur de m’emmerder comme je le signalais il n’y a pas si longtemps.

Le voyage continu avec ce compagnon encombrant, mais je le fais à la surface avec de l’espace, et ça, c’est un peu la liberté, concept qui m’est très cher.

Bonne année à tous avec tous mes vœux de santé, de bonheur et de liberté.