Raconter la vie

25 février 2014

Deuxième récit signé Tête de Turc publié sur le site raconterlavie.fr. Les pêcheurs est la version longue de ce qui a été publié sur ce blog sous le titre La Belle Bretonne.

Ce site veut mettre en avant à travers la publication de petits récits le vécu de tout un chacun, la vie de tous les jours. Il veut répondre au besoin de voir les vies ordinaires racontées, les voix de faible ampleur écoutées, les aspirations quotidiennes prises en compte. En faisant sortir de l’ombre des existences et des lieux, Raconter la vie veut contribuer à rendre plus lisible la société d’aujourd’hui et à aider les individus qui la composent à s’insérer dans une histoire collective.

Je suis particulièrement fier de participer à ce collectif d’écritures et d’avoir eu deux récits de sélectionnés. N’hésitez pas à visiter le site et à vous constituer une bibliothèque virtuelle mais tellement chaleureuse.

L’ensemble de ces récit qui s’enrichit de jour en jour permet d’aborder tous les sujets de société et sont rédigé avec l’inspiration du vécu. Ce blog et l’écriture au sens large sont pour moi l’équivalent d’une thérapie qui m’a donné le courage que je peux avoir aujourd’hui face à la maladie; quant à la lecture de ces récits, tous plus poignants les uns que les autres, une belle leçon d’humilité et de respect pour tous les auteurs.

La Belle Bretonne

14 février 2014

Nous sommes tous attachés à nos souvenirs comme à un trésor. Une infime partie de ces pensées en constituent les pépites. L’histoire que je vais vous raconter fait partie de ces moments inoubliables qui font corps à ma mémoire.

J’avais une vingtaine d’année, un mois d’août en vacances avec mes amis qui apprenaient déjà à être breton le temps d’un été au camping de la pointe de Gâvres, presqu’ile face à Lorient. Jean-Claude m’avait tellement parlé de ce coin de paradis et de l’atmosphère des lieux que je n’avais pas été long à convaincre quand il m’avait proposé de venir les rejoindre pour partager ces moments délicieux.

Nous passions nos journées comme de bons touristes entre la plage, les apéros, et la pêche aux coques à marée basse les pieds dans la vase. Le matin nous passions sur la place du village et assistions quelques fois à la levée du drapeau rouge dans la cours d’un vieux loup de mer. Ce drapeau n’était en rien une indication de baignade mais une réponse de camarade grincheux et asocial au curé qui face à sa maison faisait régulièrement sonner les cloches, il y avait un peu de l’ambiance de Don Camillo version bretz.  J’aimai bien cette provocation et me reconnaissais dans cet anticléricalisme affiché.

Jean-Claude qui était venu plusieurs fois avait déjà avec un ami étendu le cercle de ses connaissances, et c’est grâce à ces contacts qu’un jour, Yvon nous a proposé de venir passer une nuit sur « La Belle Bretonne ».
Yvon était marin pêcheur et vivait avec deux autres équipiers de sa pêche, pratiquée la nuit sur une pinasse sardinière « La Belle Bretonne ».

J’avais déjà navigué sur des bateaux de plaisance mais jamais vécu une nuit sur un bateau de pêche à dimension humaine d’environ 10 à 15 mètres qui souvent pratique la pêche côtière en partant le soir pour rentrer au lever du soleil, ces bateaux d’artisans de la mer, outils d’un métier synonyme d’aventure et permettant de faire un voyage dans le voyage.

C’est ok pour demain soir, nous fonçons nous équiper à la coopérative des pêcheurs, parce que sur ce genre d’expédition, tu ne pars pas avec un Kway et tes bottes de plage et le lendemain à 22 heures pétante, nous sommes au rendez-vous sur le quai du port devant « La Belle Bretonne ».

Yvon nous présente le reste de l’équipage qui doit bien se marrer de voir ces marins d’eau douce avec leur super équipement de ciré jaune rutilant et sans odeur si ce n’est celle du plastique comme pour affronter les grands larges. Le bateau quitte le port sur une mer d’huile et nous arrivons au bout d’une demie heure sur la zone de pêche, là c’est un jeu entre les écoutes sonar et les contacts radio avec les autres bateaux, un poker pas très cool. Un premier filet est jeté et remonté sans grand-chose, puis un deuxième et un troisième. Soudain, Yvon comme un chercheur d’or qui découvre sa première pépite nous intime de nous écarter, les choses sérieuses vont commencer, nous sommes cantonné à remplir la soute après la remonté des filets. Remplir la soute est le cas d’une pêche d’ordinaire, cette nuit là nous avons fait déborder « La Belle Bretonne » de sardine, il y en avait partout même dans nos bottes. Puis le calme revient, le sourire de contentement d’un travail bien fait sur les visages des marins pêcheurs qui nous ont acceptés à bord nous permet d’avoir des échanges plus chaleureux. Il ne reste plus qu’à naviguer vers la criée de Lorient pour tirer un maximum de profit de cette pêche.

« Un coup de gwin ruz, chti gars, c’est du gazoil, du bon, 3 étoiles ». Il est 4 heure du matin c’est l’heure du casse-croute fromage, charcuterie, accompagné d’un rosé ou de rouge qui fait des trous dans les chaussettes.

Nous aidons la mise en caisse avec la glace avant de débarquer sur les quais de la criée pour le mareyeur, et doucement rentrons au port de Gâvres  il est 7 heure du matin environ, fourbu, un peu ivre mais un souvenir plein d’étoiles dans les yeux et le cœur.

Il y a quelques années, j’ai retrouvé « La Belle Bretonne » à moitié en ruine à proximité du sens giratoire de l’entrée de Gâvres. Depuis des jeunes un peu trop alcoolisés ont mis le feu à ce qu’il en restait.



Comme tous les hommes j’ai toujours conservé ce côté gamin qui s’émerveille devant les maquettes ou les modèles réduits en général et c’est naturellement que je me suis mis au travail sur ce chantier naval pour faire renaitre « La Belle Bretonne ». J’ai tout mon temps, la maladie ne me permet plus de travailler, alors quitte à s’occuper autant puiser dans cette mémoire quelque peu défaillante ce qu’il reste de pétillant pour faire durer cette part d’aventure même si c’est au 1/20 ème.


Un petit aperçu de mon laboratoire.

10 février 2014

Ce n’est pas parce que je suis malade qu’il faut oublier de me soigner. Il y a un peu plus d’un an j’ai soigné mon stress en me jetant dans des travaux pour refaire la cuisine, aujourd’hui le tout est bien rodé et opérationnel.

Nous avons à proximité de la maison un marché très achalandé tant sur le plan gustatif que sur le plan chromatique. J’ai donc décidé de me soigner le moral avec ces deux concepts tout en faisant quelques expériences pour enrichir mes connaissances alchimiques
.
La semaine dernière, nous étions dans les orangés, avec les agrumes que nous avons mis en valeur dans un fondant à l’orange, et une magnifique courge butternut qui nous a permis l’élaboration de trois plats pour un investissement de 2€50, un gratin, une tatin de butternut aux oranges confites et un superbe cheesecake noisette et butternut.



Cette semaine nous allons tester le bleu avec la prochaine victime de nos expériences, une courge bleue de Hongrie, ainsi que des pommes de terre bleue d’artois et quelques artichauts, aubergines et poireaux...



Recettes et avis de consommateurs sur demande.

Un traitement zen contre le cancer

09 février 2014

Les labos ne manquent pas d’humour, en imprimant sur leurs cachets un anagramme qui peut laisser à penser que la médication est vachement cool. Je ne peux vous compléter la liste des  effets secondaires, ces pages de blog deviendraient trop longues et sans saveur, je peux simplement vous exprimer mon ressenti, et de ce côté-là, les deux dernières nuits ont été particulièrement riches.

Il ressort de la majorité des médocs que j’ingurgite un point commun, c’est le risque d’hypertension artérielle, nous y sommes en plein avec un réveil en pleine nuit par des douleurs thoraciques et un essoufflement injustifié pour quelqu’un qui se repose. Passé le moment de panique, j’ai pris la résolution de m’intéresser moi-même à ma tension puisque l’oncologue ne l’avait pas mis à son emploi du temps. Un petit tour à la pharmacie du coin pour vérifier ça et là, 14 – 10, je ne suis pas dans la zone rouge mais pas loin. J’ai fait l’acquisition d’un tensiomètre individuel et je vais suivre de près ce nouvel effet secondaire beaucoup plus inquiétant que d’autres qui n’agissent que sur l’aspect physique.

La nuit qui a suivie a été d’un tout au genre. Je me plaignais de mes pertes de mémoires, je peux dire maintenant que l’imaginaire continue à fonctionner. Sans rentrer dans les détails, j’ai fait un cauchemar où ma moitié était importunée par une grosse brute qui ne voulait pas la lâcher. Tel le preux chevalier, je n’ai pas hésité un instant en poussant un rugissement de fauve, j’ai sauté sur cet importun, lui ai saisi le bras pour le mordre à pleine dent.
Je venais par mon cri en pleine nuit de réveiller toute la maison et particulièrement ma moitié de qui je tenais le bras que je venais de mordre.

Je ne peux vous raconter mon embarras et la peur de ma moitié que je venais de réveiller brutalement, plus par le cri que par la morsure très superficielle mais marquée
.
Sans vouloir en ajouter au cocktail que j’absorbe tous les jours, il va peut-être falloir opter pour quelques savantes tisanes ou tranquillisants par les plantes pour éviter ce genre de délire que je ne suis pas près d’oublier.
Lundi je crois que je vais avoir une conversation avec mon médecin traitant, au sujet de tous ces décalages, pour le moins perturbant.

La pharmacie de mon cancer de la prostate

07 février 2014

Hier était le jour de la visite trimestriel à mon oncologue, 10 minutes pour faire le point sur mon état, et sur l’inventaire et le renouvèlement ou pas de mes médocs.

La visite a quelque chose de surréaliste, j’entends mon toubib à l’extérieur commenter sa dernière intervention sur un autre malade à proximité de la pièce où une infirmière m’a précédemment accompagné, il fait le yoyo entre deux à trois salles de consultations dans le même couloir en évitant les collisions avec ses confrères qui font la même chose. Lorsque j’ai fait mes études, un principe de base sur la circulation des flux dans une production efficace consistait à organiser un circuit sans obstacles donc sans croisements, ici, ce n’est pas encore acquis.

Le toubib rentre dans la salle avec un jeune interne, « comment allez-vous M. Tête de turc ?  Ben, pas trop fort, sinon je ne serai pas là. »
C’est conventionnel de demander des nouvelles mais un peu lourd à mon sens. Ensuite tout va très vite, il regarde le contrôle sanguin de la veille, ça ne s’aggrave pas, ça ne régresse pas non plus, donc c’est que tout va bien.
Ha ! J’oubliai, l’examen, il ne faut surtout pas oublier un petit coup de stéthoscope pour vérifier que je suis bien vivant, la tension a été prise il y a trois mois, on verra surement la prochaine fois.
Je lui explique mes problèmes d’œdèmes, de fatigue, de pertes de mémoire, de douleurs, de doutes et d’inquiétude. Je gagne un médoc de plus sur l’ordonnance, au revoir et à dans trois mois.
Je dois être hypocondriaque, pourquoi s’inquiéter quand on a un cancer et que l’on est en traitement palliatif.

Un petit tour au secrétariat pour planifier le prochain rendez-vous, là aussi l’efficacité prime avant tout, un quart d’heure d’attente pour se trouver devant un bureau de secrétaire à deux tête, l’une qui pose des questions l’autre qui note les réponses, et voilà mon carnet de rendez-vous est complété.

Il ne me reste plus qu’à faire le point sur mon stock de pharmacie qui me tient en vie sauf accident imprévu pour les trois mois à venir.

Eligard, Traitement hormonal de base du cancer de la prostate. Pour faire court, castration chimique pour couper les vivres à cette glande trop perturbée. Comme un grand nombre de malade, je suis hormono-résistant ce qui signifie que seul ce traitement n’agit pas, d’où le fait de continuer à le prendre en l’associant aux autres traitements.
Les effets secondaires, rétention hydrique, œdèmes, bouffées de chaleur, flush, impuissance sexuelle.

Après l’échec de la chimio, suivie de l’échec du Zytiga, je suis aujourd’hui sous Enzalutamide, nom commercial Xtendi. C’est un anti-androgène non stéroïdien. Il s'agit d'un inhibiteur des récepteurs aux androgènes. Les effets secondaires, chutes, fractures osseuses, hallucinations, anxiété, sécheresse cutanée, démangeaisons, tension artérielle élevée, faible quantité de globules blancs, troubles de la mémoire, difficultés à penser de façon claire.
En dehors de tout ça dont je porte une bonne partie, ça à l’air de fonctionner plutôt pas mal, ce qui signifie comme le dit mon toubib plus haut que ça ne progresse plus.

A ce stade, j’ai déjà le bid à l’envers, une mémoire plus que défaillante et l’aspect du bibendum d’une grande marque de pneus, je pisse rarement et peu avec des douleurs. Les métastases se promènent tranquillement sur les ganglions et sur les os.

Alors il y a la pléiade de médocs pour corriger ces effets secondaires.

Omeprazole, pour détruire les secrétions acides de l’estomac. Zoxan pour contrer l’hypertrophie de la prostate, pour améliorer la « dynamique urinaire, un peu comme un massage salvateur de cette glande pour la décontracter avec évidement encore d’autres effets secondaires, fatigue, chute, pression artérielle, œdèmes, tiens encore œdèmes. Je vais finir par rouler au lieu de marcher.
Solupred, corticoïde anti-inflammatoire pour calmer ces inflammations internes avec comme effets secondaires, rétention d’eau, pour aider un peu les œdèmes à s’arrondir, trouble de l’humeur, surement pour m’aider à retrouver la mémoire, trouble du sommeil et fragilité osseuse. Sur ce dernier, j’ai tout pris…

Xgeva pour prévenir des problèmes osseux associé à du calcium.

Et le petit dernier qui a pour but de faire dégonfler bibendum. Lasilix un diurétique à action puissante et rapide, utilisé normalement dans le traitement de l’hypertension artérielle et des œdèmes. Effets secondaires risque d’hypotension de la pression artérielle, obligation de surveiller sa tension de près et risque de fatigue intense.

Voilà, je crois n’avoir rien oublié du savant cocktail. Les indispensables et les compléments pour corriger un peu les dégâts provoqués sur la bête. Il ne me reste plus qu’à penser à les prendre en restant zen, et pour la fatigue qui se cumule, comme mon boulot, première victime de mon cancer, est mort, je peux dormir 18 heures comme les chats si je veux.

Le troisième plan cancer met timidement l’accent sur la précarité

05 février 2014

Le risque de mourir d'un cancer entre 30 et 65 ans est deux fois plus élevé chez les ouvriers que chez les professions libérales, c’est notre Président qui vient d’avoir cette révélation et qui s’en émeut. On croit rêver.

Nos politiques sont vraiment complètement décrochés de la réalité.

Pour info Monsieur le Président, depuis la nuit des temps, la maladie, et plus particulièrement le cancer, rend pauvre ceux qui ne l’était pas à quelques exceptions près et fait sombrer dans la précarité la plus totale ceux qui n’avait déjà plus de moyen.

Vous n’avez pas idée de l’énergie que doit produire un malade pour s’en sortir et de la disponibilité qu’il doit avoir pour lutter contre sa maladie. Malheureusement, les tracas administratifs et la baisse conséquente des revenus ne permettent pas toujours d’offrir aux malades ce confort dont ils ont tant besoin. Certes en France les soins sont pris en charge à 100%, mais ensuite… il faut vivre avec ses dettes et son frigo vide parce que ses revenus se sont divisés par deux, parce que toutes les démarches administratives vont se baser dans le calcul des indemnités sur des revenus datant de 2ans. De grands noms de la médecine ont déjà dénoncé ces dérives qui font qu’un grand nombre de malades ont tout simplement faim, parce qu’ils n’ont plus ou presque plus de revenus. La vérité est qu’un grand nombre de malades vivent en dessous du seuil de la pauvreté.

J’ai écrit il y a quelques mois à la ministre de la santé Marisol Touraine pour l’interpeller sur ma situation qui est loin d’être aussi grave que ce que je décris dans les lignes précédentes, un membre de son cabinet m’a gentiment communiqué les coordonnées d’une assistante sociale. La dernière assistante sociale que j’avais interpellée sur le sujet était celle du centre anti cancer de Montpellier qui m’avait répondu par une fin de non-recevoir, rien dans son catalogue pour les professions libérales. Résultat, 1 ans plus tard, ça y est nous y sommes, en dessous du seuil de la pauvreté.

Mon voyage avec ce compagnon destructeur continue, mais mes rêves de voyages pour prendre ma part d’oxygène s’évaporent.