5 janvier 2017
Ce matin, vue la température, nous allons peut-être croiser quelques pingouins. C’est fou comment au fil du temps avec la maladie je suis devenu sensible au froid. Il est à peine 9 heures quand je m’extrais de l’habitacle feutré du véhicule. Je traverse l’allée du parking et me dirige vers la porte C de l’hospitalisation de jour. Un effleurement de l’index sur l’écran pour m’identifier et me voilà emprisonné de nouveau dans ce jeu de couloirs d’où je ne vais pas pouvoir sortir avant d’avoir pris ma dose de poison.
L’épreuve du labyrinthe, avec les années, est devenue le labyrinthe de l’épreuve. Au début des traitements, nous partions confiants vers cet univers hospitalier en franchissant ces portes et ces couloirs pour aller chercher ma dose d’espoir, 5 ans plus tard, aussi bien ma moitié que moi-même nous serions prêts à fuir ce système pour respirer et vivre normalement. D’examens en consultations, de soins en contrôles sanguins et de posologies en examens, nous revenons sans cesse au même point et ne trouvons plus la sortie. L’impression de répéter à l’infini le même cauchemar.
Bien évidement nous ne sommes pas utopistes au point de penser que tout va rentrer dans l’ordre et que cet ennui de santé va se résoudre comme par miracle avec ces doses inhumaines de chimio. Mon cancer est incurable, les médecins ne peuvent que gagner du temps en espérant que la recherche nous sauvera.
C’est d’ailleurs sur ce point précis que nous nous accrochons et se perdre dans ce dédale d’épreuves ne nous diminue pas l’espoir d’une issue plus concrète, mais le temps fait son travail et répéter toutes les trois semaines le même rite ne nous procure pas un sentiment d’avancer, bien au contraire.
Dans ce labyrinthe, il faut respecter chaque étape, comme au premier jour du traitement. Passé l’attente interminable dans la salle du même nom, on peut commencer le jeu. Un premier petit débriefe avec le secrétariat d’accueil pour vérifier le poids, et l’identité. Ensuite, muni d’un bracelet d’identification on peut enfin jouer dans les couloirs tout en respectant l’ordre d’appel par son n°. Bureau 4 pour l’entretien avec une médecin généraliste, afin de faire l’inventaire de mon vécu sur la dernière période hors du labyrinthe. Ensuite je peux me déplacer dans ces couloirs qui tournent en boucle et vous ramènent tous au même point. Au bout de certains espaces il y a des portes vitrées avec à l’extérieur, un jardin de plantes méditerranéennes, mais l’accès est limité aux secours et nous devons retrouver la chambre 10 avant qu’elle ne soit prise par un autre occupant.
Un autre couloir m’avait, il y a déjà deux ans, amené dans une salle commune, avec comme dans une arène, au centre, un homme équipé d’aiguilles et de chariots remplis de fioles diverses. Autour, en étoile, des cabines individuelles avec un confort sommaire et un fauteuil de torture. Une fois sanglé sur ce fauteuil, point de possibilité de fuir et le spectacle de la souffrance des autres malades comme passe-temps.
J’ai un souvenir précis de ce moment et sais depuis à quel carrefour il faut éviter de bifurquer pour subir cette misère.
La chambre 10 est identique à la 8 et à La 9 qui elles-mêmes sont identiques à la 2 et à la 18. Murs blancs, lit blanc, sol et porte gris. Au plafond, le dessin d’un labyrinthe basique très régulier, composé de carrés et d’espaces de grilles d’aération.
Une fois installé, une infirmière vient vérifier mon identité que je dois lui décliner à voix haute et sans hésitation. C’est seulement dans ces conditions que j’aurai droit à ma dose qui pour le moment est en préparation dans la cuisine du pharmacien. Elle me connecte au système par le biais de ma chambre implantée et me fait patienter avec une prémédication qui va rapidement diffuser un certain brouillard dans mon espace resté conscient.
Un quart d’heure est passé et je suis maintenant connecté sur du Cabazitaxel, mon poison jusqu’en avril si je résiste suffisamment. Par habitude, je sais que cette injection dure environ 1 heure et qu’ensuite, sauf contre-indication je serai surement éjecté du labyrinthe.
Le pas incertain, je quitte l’hospitalisation de jour avec un vague souvenir de ce périple dans un espace désormais familier. Le labyrinthe, lui, ne me quitte pas, il fait partie de mon être, il est solidement ancré dans mon subconscient et va m’accompagner pendant trois semaines, avant de retenter ma chance avec une nouvelle dose.
Carnet de bord d'un voyage que je n'ai pas choisi avec un cancer de la prostate. J’ai 53 ans, pas de gènes urinaires, pas de douleurs, pas d’antécédents familiaux, pas de symptômes de fatigue, pas de perte de poids. Sur les conseils de mon médecin traitant je fais un examen sanguin. Résultat, cancer de la prostate métastasé... Début du voyage avec mon cancer le 25 janvier 2012.
Le labyrinthe ou l’épreuve
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À nouveau merci pour votre témoignage. À moins qu'un soignant, politique etc.... Un tant soit peu influent puisse vous lire, avec le courage d'aller jusqu'au bout pour faire changer les choses, apporter un peu de douceur dans ce monde de soin.... Je me dis que ce scénario va malheureusement se répéter encore et encore pour trop de patients....
RépondreSupprimerMerci pour l’intérêt que vous portez à ce blog et pour vos commentaires que je prends pour un soutien et un encouragement à continuer d'écrire pour informer et essayer de faire bouger les choses.
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