21 sept 2013
Il est environ 7 :00, les premiers rayons du soleil commencent à peine à filtrer à travers les volets en cet automne qui a tout l’allure d’un été. Ça fait bien deux heures que je tourne dans tous les sens en essayant de dormir un peu plus, démarche vaine, le sommeil ne reviendra pas. Toutes les nuits sont les mêmes, une suite de période de sommeil interrompue par des moments de veille où il faut essayer de ne pas trop penser pour favoriser le retour à ce sommeil si rare. Il y a également les allers retours aux toilettes pour faire trois goutes alors que l’envie correspondait plutôt à un raz de marée.
J’ai toujours été un petit dormeur, mais là nous atteignons des records. Heureusement, l’intensité de la fatigue fait lâcher un peu cette résistance au sommeil parfois et je sais qu’il y aura une nuit où comme assommé, je pourrai récupérer ce retard.
Je me lève dans le silence de cette maison où ils sont tous de gros dormeurs et me fait un café fort comme je les aime, une ou deux tartines avec pour ne pas avoir le ventre vide sans abuser pour ne pas prendre encore plus de poids. Depuis un an j’ai pris presque dix kilos. Ensuite pendant cette première heure ou petit à petit mon corps se détend, je peux en cinq ou six passages aux toilettes vider cette vessie par petite dose.
Un petit tour au potager pour ajuster l’arrosage des derniers légumes et pour contempler simplement les carrés de nature que j’essaye de maitriser. C’est un moment privilégié que je ne rate jamais.
En semaine, le premier à se lever après moi est mon fils qui doit aller à la fac, je suis son taxi, il n’y a pas de transport en commun ici, mais, c’est pas grave, je le fais avec plaisir, je n’ai pas d’obligations moi, je suis comme en retraite, retiré du monde réel et de ses turpitudes…
9 :00 mon téléphone est programmé pour me rappeler qu’il faut prendre ma première dose de médoc, 4 cachets d’enzalutamide qui ressemblent plus à des suppositoires qu’à des pastilles et un petit cachet de calcium pour accompagner le traitement d’Xgeva (piqure mensuel pour corriger les dégâts des métastases osseuses)
Le reste de la matinée est occupé par du bricolage, du jardinage ou de l’écriture quand j’ai deux doigts d’inspiration, parce que ça aussi c’est en train de diminuer. Un des effets secondaires d’enzalutamide est la difficulté de concentration et la perte de mémoire, je suis en plein dedans. Je suis constamment en train de chercher mes mots, les noms de personnes dont je parle ou tout simplement ce que je voulais dire quelques secondes auparavant.
En tre 12 :30 et 13 :00, pose déjeuné avec mon téléphone qui me rappelle que je dois prendre une gélule pour éviter les aigreurs intestinales et un cachet de cortisone pour lutter contre la fatigue et détendre la vessie. Sans la prise de ce cachet tout se bloque, avec la prise de ce cachet ça se passe un peu mieux sans miracle, mais raisonnablement. Le seul ennui c’est la prise de poids.
L’après-midi en semaine est consacré à la transmission de mon entreprise, j’essaye de motiver ma fille pour ne pas complètement perdre ce que j’ai monté pendant dix ans et qui était devenu motivant. Hier, relâche, j’ai passé toute ce temps à discuter avec Michel, nous étions les meilleurs potes du monde entre 16 et 20 ans et nos souvenirs racontés autour d’un café nous font bien rire. C’est pas du luxe de rigoler, je viens de lui apprendre ma situation de vie en sursis qui ne prête pas à rire. Je ne cherche surtout pas l’apitoiement et il l’a bien compris, alors après l’historique de mon voyage imposé, nous dérivons très vite sur les souvenirs. Il faut les faire briller ces souvenirs, c’est ces moments de vie qu’il faudra garder, pas cette période de douleurs. Il faudra se revoir, nous avons tant de chose à nous raconter, lui comme moi avons perdu notre bâton de maréchal, nous avons connu ensemble des périodes glorieuses où notre travail nous permettait de vivre confortablement, aujourd’hui c’est cancer pour l’un et chômage pour l’autre, dans les deux cas c’est précarité assurée. Ça ne nous empêchera pas de rire et de continuer à refaire le monde autour d’un bon repas bien arrosé.
Les derniers rayons de soleil se cachent derrière la colline, je n’aime pas cette période où les arbres vont perdre leurs feuilles. Avec ma moitié nous avons pris la mauvaise ou bonne habitude de boire un petit verre à ce moment de la journée, juste avant de se mettre à table, pour se détendre un peu.
Dans la soirée, mon téléphone me rappelle de nouveau pour prendre le cachet de Zoxan, molécule qui doit faciliter le travail de la vessie. Hé oui, tout tourne autour de cette putain de vessie. Le reste, les douleurs, n’est pas encore trop agressif. J’ai de gros problèmes avec ma jambe gauche au point de boiter, j’ai des douleurs ponctuelles aux reins, à l’épaule, au poignet…
La journée se termine devant l’écran de télé avec un film que je ne vois pas souvent jusqu’au bout. Mes nuits sont courtes mais l’endormissement du soir est quasiment instantané.
C’est pas très excitant comme emploi du temps, et vous n’imaginez pas à quel point je m’ennuie, mais je n’ai plus les moyens de faire quoi que ce soit.
Carnet de bord d'un voyage que je n'ai pas choisi avec un cancer de la prostate. J’ai 53 ans, pas de gènes urinaires, pas de douleurs, pas d’antécédents familiaux, pas de symptômes de fatigue, pas de perte de poids. Sur les conseils de mon médecin traitant je fais un examen sanguin. Résultat, cancer de la prostate métastasé... Début du voyage avec mon cancer le 25 janvier 2012.
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