Bol d’air en Bretagne

04 octobre 2015

Déjà 3 semaines que j’ai encaissé la neuvième cure de chimio dans les veines et je viens tout juste de recevoir la dixième. Mon sang n’est plus, mes veines drainent une chimie qui petit à petit me ruine le quotidien.

Il y a 21 jours de ça, le mal être avait pris le dessus sur l’être. Plus ça allait, moins ça allait. La fatigue développe des sentiments de frustration, des rancœurs et une irritabilité à fleur de peau.

L’oncologue est très satisfait des derniers résultats et très optimiste sur le ralentissement de la propagation du cancer. Visiblement pour une fois la bête recule et finalement je ne suis pas condamné à rater mes examens, mais au fond de moi je ne ressens pas la même dynamique. La fatigue est telle que j’ai du mal simplement à réfléchir et les effets secondaires n’ont jamais été aussi perturbants.

Ma moitié depuis trois ans supporte tout sans sourciller. Taraudée  par ses propres problèmes, sa vie quotidienne est bousculée par les déboires de proximité et son temps est rythmé par les allers-retours à l’hôpital, les chimios, et ces fameux effets secondaires que je partage assez facilement avec mon entourage. Depuis quelque temps, nos relations commençaient à devenir de plus en plus tendues et sa nervosité croissante avait rendu certaines fins de journées un peu électriques.

Nous avions ensemble émis des désirs de changements et commencé à faire certains projets, alors que jusqu’à maintenant nous étions immobile, tétanisés par l’incertitude, en attente, sur un quai de gare sans qu’aucuns trains ne passent… Dans ces conditions de tension extrême, ne pouvant construire un devenir avec un tel état d’esprit, j’ai préféré prendre le large et j’ai volontairement et peut être un peu brutalement créé une distance pour permettre à chacun, avec un peu de recul de recharger ses batteries.

Retour en arrière :
Il y a trois semaines, sans concertation j’ai donc annoncé mon intention de partir en Bretagne une semaine. A peine trois jours après, je suis sur le départ. La route est longue et permet déjà de lancer cette réflexion. 850 km à essayer de trier le pour et le contre de ma décision. En fin d’après-midi j’arrive à bon port, quartier le vieux passage à Plouhinec au bord de la Ria d’Etel, le paradis.

Mes hôtes m’accueillent comme ils l’ont toujours fait depuis maintenant presque quarante ans. Pas de questions, juste le plaisir de se revoir et de passer quelques jours ensemble. Ca va faire 40 ans qu’on se connait et nos échange sont depuis bien longtemps des moments de partage qui rempliront un peu plus notre malle aux trésors. Nous passons nos journées à bavarder, préparer les repas, glander dans les fauteuils, se promener aux environs au gré des caprices de la météo. Nous refaisons le monde et comblons les silences par nos souvenirs à grand coups de rire.

J’ai pour ainsi dire réussi à oublier que j’étais malade, je dors comme un bébé et me réveille au beau milieu de la matinée. Ce matin nous avons parlé voyages. Ces voyages qui sont le cœur de mes préoccupations, mes rêves de gosse, ils en ont fait une grande partie mes potes bretons. En croisant leurs souvenirs et mes envies nous finissons par trouver des désirs communs de découvertes et pourquoi ne pas se lancer ensemble sur ces projets. Renouer avec nos vacances et nos souvenirs collectifs. Dès mon retour il faudra se concentrer sur l’aboutissement de ces projets, les transformer en intentions et les intégrer à nos désirs de changements comme un engagement mutuel sur l’avenir.

Depuis que mon cancer a pris sur mon autonomie et m’a tuer mon travail, je ne vis plus trop au présent. Le fait d’envisager un avenir me donne des forces et me positionne par rapport à mon entourage.

Ici, je ne peux quasiment pas me servir de mon tel pour piocher ma dose d’info ou pour communiquer simplement du futile au plus important. En d’autres temps, c’est une crise de manque qui aurait pris le dessus alors qu’aujourd’hui je me sens comme détaché de cette téléphomaniaquerie. Le peu que je capte me permet de lire les messages que ma moitié a passé, quelques heures auparavant. Je n’éprouve pas le besoin de lui répondre.  Je garde sa présence au plus profond de moi mais n’ai pas envie de parler pour parler. Ce n’est pas au travers de ce type de moyen de communication et des mots qu’on y colle que nous résoudrons nos incompréhensions ou nos différents. Cette période de recul a vocation à nous donner la force de consolider notre quotidien et de bâtir notre avenir en ne faisant qu’un, sans qu’aucun ne cherche à dominer l’autre.

Retour dans le sud.
Une dizaine de jours après mon départ, je suis de retour. Après cette semaine de réflexion, nous nous sommes progressivement ré apprivoisé mutuellement, et sans concertation, avons chacun corrigé notre approche de l’autre.

L’injection de la dixième cure est terminée. Je suis dans un état de somnolence, mes jambes me portent à peine. Je sais que la nuit prochaine sera longue et que dès demain cette putain de chimio va me transformer, me bousculer. Le paradoxe est qu’après l’épuisement vient toujours un temps de suractivité. Je suis aux commandes d’un engin que je ne contrôle plus vraiment. Le kérosène ne convient pas pour une mobylette. Dans quelques jours, tout va se calmer et nous pourrons reprendre la route pour, ensemble, vivre avec l’avenir et nos projets.

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