Ostéo-nécrose mandibulaire.

31 janvier 2017

Hier, pour changer un peu des visites chez l’oncologue ou en hospitalisation de jour pour les injections de chimio, j’étais invité pour une consultation au service d’odontologie de la faculté de soins dentaires de Montpellier afin d’effectuer un bilan sur les risques encourus par la poussée d’os dans ma mâchoire inférieure. Une ostéo-nécrose mandibulaire.

Ce phénomène est apparu il y a quelques années sur la liste des effets secondaires des biphosphonates, Zometa ou Xgeva, médicaments utilisés pour le traitement des métastases osseuses. Ce désagrément a été constaté dans environ 10% des cas de patients sous traitement et bien entendu, je ne l’ai pas raté. Pour rappel, je suis sous Xgeva depuis juillet 2013 à raison d’une injection par mois.

L’ostéo-nécrose peut être déclenchée suite à une extraction dentaire d’un patient sous traitement d’un de ces médicaments. C’est la raison pour laquelle un bilan dentaire est toujours indiqué avant de débuter ce médoc. Pour ce qui est de l’apparition sans intervention de chirurgie dentaire, il n’y a pas d’explications. Par contre on sait comment les choses peuvent évoluer avec environ 10 ans de recul et d’analyses.

Comme un fruit arrivé à maturité, l’excroissance osseuse va tomber au bout d’un "certain temps", et c’est là que les choses peuvent se compliquer s’il n’y a pas eu d’infection au préalable, ce qui est mon cas. J’ai la chance de ne pas avoir d’infection ou de douleurs, je ressens simplement une gêne importante. L’hygiène dentaire sans excès (ne tuez pas vos bactéries buccales avec trop de bains de bouche) est surement la solution préconisée pour éviter une infection.

Donc, au bout d’un "certain temps", les os indésirables se détachent. C’est d’après la description du Professeur qui m’a donné les explications le moment le plus délicat. Risques de douleurs, d’infections, de saignements…

Il ne faut pas hésiter à contacter un stomato rapidement pour une intervention qui consistera à retirer les os détachés pour ensuite traité rapidement la gencive qui se retrouvera à vif et ainsi éviter les complications.

Pour ce qui est du Xgeva, l’oncologue en constatant les effets a stoppé les injections. Les douleurs et la propagation des effets collatéraux n’ont pas attendu bien longtemps pour se faire ressentir. Malgré une bonne dose régulière d’antalgique je suis perclus de douleurs. Les effets secondaires des biphosphonates étant constatés, le professeur du service d’odontologie est d’avis de reprendre le traitement.

Dans mon précédent message, je pestai une fois n’est pas coutume contre le silence et les non-dits du corps médical. A la faculté de soins dentaires de Montpellier où j’ai été reçu par ce Professeur, je viens de vivre l’inverse. Jamais je n’ai rencontré un homme de médecine autant à l’écoute, prévenant et très limpide dans ses explications sur l’état des connaissances, ce qu’il sait, ce qu’il ne sait pas et sur le soutien qu’il peut m’apporter. Un homme qui répondait à toutes nos questions, celles de ma moitié et les miennes. Un homme capable de comprendre qu’il y a une vie à côté du cancer et qui s’y intéresse, un homme qui sans que je me plaigne, savait que ma dose de douleurs ne me prédisposait pas à partir par l’escalier pour trois étages vers la sortie et qui nous a accompagné jusque dans l’ascenseur des médecins en tapant son code privé pour nous permettre de l’utiliser.

Merci Monsieur pour ce moment d’échange et de confiance entre humains.

Paroles du générique de fin du film : Deux jours à tuer

31 janvier 2017

Combien de temps...
Combien de temps encore
Des années, des jours, des heures combien?
Quand j'y pense mon cœur bat si fort...
Mon pays c'est la vie.
Combien de temps...
Combien ?
Je l'aime tant, le temps qui reste...

Je veux rire, courir, parler, pleurer,
Et voir, et croire
Et boire, danser,
Crier, manger, nager, bondir, désobéir
J'ai pas fini, j'ai pas fini
Voler, chanter, partir, repartir
Souffrir, aimer
Je l'aime tant le temps qui reste

Je ne sais plus où je suis né, ni quand
Je sais (juste) qu'il n'y a pas longtemps...
Et que mon pays c'est la vie
Je sais aussi que mon père disait:
Le temps c'est comme ton pain...
Gardes en pour demain...

J'ai encore du pain,
J'ai encore du temps, mais combien?
Je veux jouer encore...
Je veux rire des montagnes de rires,
Je veux pleurer des torrents de larmes,
Je veux boire des bateaux entiers de vin
De Bordeaux et d'Italie
Et danser, crier, voler, nager dans tous les océans
J'ai pas fini, j'ai pas fini
Je veux chanter
Je veux parler jusqu'à la fin de ma voix...
Je l'aime tant le temps qui reste...
Combien de temps...

Combien de temps encore?
Des années, des jours, des heures, combien?
Je veux des histoires, des voyages...
J'ai tant de gens à voir, tant d'images...
Des enfants, des femmes, des grands hommes,
Des petits hommes, des marrants, des tristes,
Des très intelligents et des cons,
C'est drôle, les cons, ça repose,
C'est comme le feuillage au milieu des roses...
Combien de temps...

Combien de temps encore?
Des années, des jours, des heures, combien?
Je m'en fous mon amour...
Quand l'orchestre s'arrêtera, je danserai encore...
Quand les avions ne voleront plus, je volerai tout seul...
Quand le temps s'arrêtera.
Je t'aimerai encore
Je ne sais pas où, je ne sais pas comment...
Mais je t'aimerai encore...
D'accord?

Jean-Loup Dabadie
Musique d'Alain Goraguer
Chanté par Serge Régiani (2002)

La médecine narrative et l’information du patient.

25 janvier 2017

Le 25 janvier 2012 je prenais connaissance de mon taux de PSA à 95 suivi ensuite de mon taux de Gleason de 9 m’annonçant un cancer de la prostate agressif, métastasé aux ganglions et aux os (T4 N1 M1).

Mon premier reflex après avoir consulté différents médecins a été de foncer sur Internet pour faire mes propres recherches, vu que je n’avais, déjà à l’époque, pas eu de réponses à mes questions.

Gérant mon entreprise dans le domaine de la création de sites Internet et dans la prestation du référencement naturel, j’étais à même d’utiliser les techniques que je maitrisais pour mes clients à des fins personnelles. La recherche étant directement liée à la pertinence des mots clés et les sites de qualité utilisant les techniques de rédactionnel web, du moins je l’espérais,  je n’imaginais pas à quel point j’allais tomber sur cette masse de renseignements tous les plus fantaisistes les uns que les autres. En moins d’une semaine de recherche, j’étais convaincu de ma proche disparition et d’un avenir florissant pour les personnes exerçant le même métier que moi. Au-delà de ces considérations, je ne veux surtout pas faire passer le message qui vous inciterait à ne pas faire vos recherches sur Internet. La perception des informations doit être guidée par l’analyse des informations et comme toutes bonnes analyses de texte "journalistique" il faut essayer de recouper les renseignements afin de donner de la crédibilité aux propos.

Fort de cette expérience et constatant les faibles contenus issus de patients, j’ai décidé de rédiger mon blog axé sur le quotidien de la vie d’un malade du cancer de la prostate et bien entendu sur les informations vérifiées que je pouvais glaner sur la toile.  5 ans après, je n’ai pas la prétention de me classer dans ce que l’on nomme "patients experts" mais je suis assez fier de l’écho de ce blog qui vient d’enregistrer plus de 210 000 visites avec une moyenne aux alentours de 500 entrées quotidiennes en ce moment. J’ai analysé cette fréquentation importante qui au final dénote sur certains points.

J’ai utilisé ce blog et je l’utilise encore aujourd’hui comme un exutoire. Ayant énormément d’aprioris sur les psys, les échanges qui ont été issus de ces écrits sont très importants pour moi et pour ma propre analyse. J’ai également utilisé ces messages pour passer un peu de dérision sans pour autant vouloir mettre en place des dérives d’informations. Là, j’ai eu une très grosse surprise en constatant par exemple, que le message qui était en quatrième position sur l’échelle du succès des consultations, était celui qui parle de la position assise pour uriner quand on est un homme, ce qui limiterait les risques de cancer de la prostate. Cette information bien évidement jamais médicalement vérifiée est avant tout une boutade mais néanmoins suscite encore un vif intérêt.

En troisième position le message sur la médecine Ayurvédique qui lui m’a inondé de demande de coordonnées pour partir en Inde, alors qu’il est précisé dans l’article que cette méthode ne doit pas se dissocier de la médecine traditionnelle et est, avant tout, un complément psychologique uniquement. Mettre en accord le corps et l’esprit et " purifier " son organisme avec une vie saine ne peut évidemment pas faire de mal, bien au contraire.

La deuxième place est pour les explications sur le médicament Xgeva qui visiblement est souvent administré avec une zone d’ombre autours de ses effets secondaires ou autres.

Pour la première place et, là, personne ne sera surpris, c’est l’article sur l’espérance de vie d’un malade dans les différents cas de cancer de la prostate.

Que retirer de ces analyses ?

La première constatation n’est pas très glorieuse sur l’impact de ce blog qui comme bien d’autres retire une part de son succès de futilités. Ces chimères qui génèrent tant de connexions sur le net n’ouvrent aucun débat et ne portent que très peu de messages. La deuxième constatation est plus encourageante et correspond à la multitude d’échanges que ce blog a provoqué. Un grand nombre de patients et d’accompagnants sont à la recherche d’informations à cause du manque d’écoute et du silence pesant qu’ils rencontrent dans leurs parcours et leurs consultations.

Je ne fais pas une crise paranoïaque en vous mettant ce sujet en exergue, une émission sur France Inter le 16 janvier était présentée avec l’introduction suivante :

"Médecins, infirmiers, écoutez vos patients. 23 secondes. C’est le temps moyen laissé à un patient en début de consultation pour raconter ses symptômes… De plus en plus de patient se plaignent de ne pas être assez écouté. Avec le reproche récurrent d’un manque d’empathie de la part des médecins. Nous verrons ce matin pourquoi de nombreux praticiens n’écoutent pas ou n’écoutent plus, pris dans la spirale du rendement. Nous verrons pourquoi l’écoute médicale reste fondamentale pour soigner. Le processus de guérison débute bien souvent par une écoute attentive, pour délivrer le bon diagnostic, améliorer l’observance des traitements ou encore apaiser les malades. Quelles sont les pistes pour renouer un dialogue constructif entre patient et soignant, dans le cadre notamment d’une médecine dite narrative ? Votre médecin généraliste vous écoute-t-il suffisamment ? Avez-vous l’impression d’être écouté à l’hôpital ?"

Tous les patients qui ont écouté cette émission, voudraient avoir comme médecins les intervenants de ce débat. J’écris débat, mais en fait il s’agissait plutôt d’un exposé des bonnes pratiques en opposition avec ce que vivent la majorité des malades. Une longue liste de bonnes intentions. Il existe des médecins qui écoutent mais ce n’est pas une démarche universelle, il n’y a pas de formation dans les facultés sur la bienveillance du médecin pour ses patient. Les pressions et contraintes mènent à ne plus distinguer le patient alors que les malades et les accompagnants ont un savoir fondamental dont les médecins devraient tenir compte. Internet est une voie qui va conduire le patient à interpeller le médecin en se mettant au niveau du sachant au sachant sur bien des points des traitements et des symptômes. Nombre de toubibs refusent cette façon d’aborder le sujet.

La médecine narrative ou médecine fondée sur le récit du patient constitue une pratique médicale centrée sur le patient. Elle permet au médecin d'accéder à l'expérience vécue par leurs patients qui aujourd’hui me parait incontournable des liens avec les informations quémandées sur Internet. Mes propos ont surement amené certains patients à demander à leur toubib, pourquoi ne m’avez-vous pas parlé des effets secondaires du Xgeva ou de certaines réactions peu communes aux traitements de chimiothérapie.

L’empathie qui devrait fonctionner à double sens entre le patient et le médecin ne peut se mettre en place qu’avec une reconnaissance de ce que l’autre éprouve, c’est avant tout une qualité d’écoute avec des questions ouvertes qui permettraient d’élucider les problèmes ou les angoisses, même si l’origine de ces questions provient d’Internet.

Je pense être plus pertinent et plus ouvert dans mes interrogations vis-à-vis de mes soignants parce que je suis informé, et je suis plus combatif parce que bien de mes questions ont aujourd’hui une réponse, même si cette réponse est « je ne sais pas, je ne peux pas me prononcer aujourd’hui en l’état des connaissances et des développements de la recherche »

Le plan cancer 2014 mentionne au point 4.4 titré : Améliorer la formation des médecins cancérologues. Cette formation devra inclure les compétences transversales comme la communication avec le malade et son entourage.

Demain, au menu comme toutes les 3 semaines, c’est chimio. Ça commence par un petit exercice de communication entre toubib et patient. J’ai beaucoup de chance, ça ne se passe pas du tout comme ça dans bien des centres de soins. Une généraliste va entendre la longue liste de mes souffrances, va rigoler de mes plaisanteries à deux balles et va signer le dosage pour mon injection après avoir vérifié mon poids et mes analyses sanguins. Elle me saluera et me dira "bon courage".

Voilà, fin de la communication.

Des ours, des phoques et des pingouins

17 janvier 2017

La météo est très pessimiste au sujet des températures annoncées sur l’hexagone pour les prochains jours. Nous sommes au cœur de l’hiver et bien entendu cela peut paraitre normal, mais n’en est pas moins désagréable.

Depuis que je suis malade, je suis devenu particulièrement sensible au froid. J’ai un mal fou à me réchauffer au moindre primat de l’hiver. Mon corps, tremble tous les soirs en rentrant dans le lit, mes pieds, me transmettent le danger de l’extérieur à chaque foulée dans notre maison pourtant bien isolée. Peut-être que je suis en train peu à peu de me refroidir. Bref…

Le paradoxe de cette situation qui me vient à l’esprit est très perturbant. La maitrise des sensations sur les terminaisons nerveuses ne répond plus correctement.

Plus jeune, avec mon pote, mon Breton préféré, j’ai vécu des hivers en haute montagne où lors de nos acensions, nous avions de belles stalactites aux moustaches. A la même époque, j’étais déjà très résistant à la douleur, ce qui signifie que là où certaines personnes ressentent une douleur, je ne ressentais rien. Tout ceci n’a rien à voir avec une forme de force ou de capacité à résister, mais simplement une différence de perception.

Je ne ressentais pas très bien la douleur. Je ne la ressens pas plus aujourd’hui. Je ne ressentais pas le froid au-dessus de 3000 mètres d’altitude, je suis tétanisé par un froid plus doux au niveau de la mer quarante ans plus tard.

Le problème s’accentue quand mon toubib me demande si j’ai des douleurs ci ou là. Je ne peux lui exprimer le degré qu’il est en droit de noter sur ses fiches pour évaluer l’avancé et l’impact de mes métastase sur l’évolution du cancer. Je ne suis pas pris au sérieux et surtout pas au juste niveau où je me trouve. Le ressenti de la douleur n’est pas en adéquation avec les imageries médicales. Hormis les réactions aux chimios qui bousculent toutes logiques.

Ajoutez à ce phénomène mon moral qui m’incite à plaisanter et à garder un dynamisme naturel dans ma façon de m’exprimer et plus personne ne me prend pour un malade.

Il est en rémission ou quoi ?

Pourtant, malgré l’absence de ces ressentis, il y a le coté fonctionnel qui est là tous les jours pour me rappeler que rien ne va plus. La jambe gauche ou la droite qui se bloque lors de la montée d’un escalier, le fait de ne plus pouvoir se relevé quand je suis accroupi, l’impossibilité de monter le bras pour attraper quelque chose sur une étagère. Le corps se fige.

La douleur est là, mais ne veut pas s’exprimer.

Suspendu aux lèvres du médecin

10 janvier 2017

Vous repensez sans arrêt à ce qu’il vous a dit. Vous vous demandez si vous avez bien compris et il vous manque un lien pour rendre le tout compréhensible. Ce lien c’est précisément ce qu’il ne vous a pas dit. Un silence qui peut en dire long ou un blanc qui complète le propos. La difficulté vient du fait que c’est à vous d’interpréter ce silence, à vous d’imaginer le pire parce que personne depuis la déclaration de votre cancer ne l’a exclu. A vous d’imaginer le meilleur parce que votre espoir vous permet de vous rendre invincible et résistant aux épreuves.

Pourtant, à chaque visite avec le toubib, vous en rajoutez sur cette longue liste de souffrance et de fatigue. Cette sensation subjective de faiblesse anormale n’est plus de la fatigue, c’est de l’asthénie accompagnée de nausées, parfois de vomissement et de trouble du transit. La fonte musculaire a effacé les promenades et les activités trop physiques, les courbatures sur l’ensemble du corps ne vous permettent plus d’identifier une zone sans douleur. L’activité intellectuelle se résume à quelques livres, la télé et des discutions pour refaire le monde dans le cocon familiale. Il n’y a presque plus de lien sociaux avec l’extérieur, rare sont les visites et les voyages sont devenus de doux rêves.

(Grace à vous, chers lecteurs, il me reste ce lien d’échange sur un sujet que je voudrai bien oublier parfois. Je suis très sensible à vos messages et vos commentaires.)

Le toubib écoute, note parfois et ne dit rien.

Le rôle du médecin devrait pourtant se situer au-delà des soins. Il a le devoir d’informer le patient et de l’encourager à planifier son emploi du temps pour garder un minimum d’activité physique. Il est également important qu’il donne des explications sur les choix thérapeutiques, sur leurs effets secondaires et sur les effets secondaires des médocs qui doivent contrer les effets secondaires du traitement initial.

Nada, rien, que dalle. Il prend bien note de la liste de ces effets, je les ai presque tous et, je n’en ai pas cité qui ne sont pas référencés, donc tout va bien.

D’où vient ce silence ? Pourquoi ce mépris ? Parce qu’il est très difficile de le qualifier autrement.
Il y a surement une part d’ignorance. Non pas que les toubibs sont incompétents ou mal formés, je n’irais jamais jusque-là, mais simplement qu’ils ne savent pas en l’état de la recherche sur le cancer, où ils vont avec ces traitements identiques pour tous. Alors comme ils ne peuvent pas dire « je ne sais pas » et que la multiplicité des cas ne leur permet pas de développer un minimum de relation avec le patient, ils se concentrent sur la maladie qui elle leur parle avec nos résultats d’examens. La relation reste purement scientifique et l’humain passe à la trappe.

J’ai pourtant vécu avec cet homme quelques moments d’espoir. J’ai eu parfois des relations humaines, mais dès que le bilan repasse dans le rouge comme en ce moment, le mutisme reprend sa place.

Je sais tout ça. Depuis 5 ans j’ai très largement eu le temps de m’en rendre compte et j’en ai rédigé des messages sur ce sujet, mais je ne peux m’empêcher de rester suspendu aux lèvres du médecin. Je reste convaincu qu’un jour il va me donner un indice supplémentaire. Pour le moment ce que je constate c’est que graduellement je suis de plus en plus diminué et que petit à petit mon passager clandestin prend de plus en plus de place.

Le labyrinthe ou l’épreuve

5 janvier 2017

Ce matin, vue la température, nous allons peut-être croiser quelques pingouins. C’est fou comment au fil du temps avec la maladie je suis devenu sensible au froid.  Il est à peine 9 heures quand je m’extrais de l’habitacle feutré du véhicule. Je traverse l’allée du parking et me dirige vers la porte C de l’hospitalisation de jour. Un effleurement de l’index sur l’écran pour m’identifier et me voilà emprisonné de nouveau dans ce jeu de couloirs d’où je ne vais pas pouvoir sortir avant d’avoir pris ma dose de poison.

L’épreuve du labyrinthe, avec les années, est devenue le labyrinthe de l’épreuve. Au début des traitements, nous partions confiants vers cet univers hospitalier en franchissant ces portes et ces couloirs pour aller chercher ma dose d’espoir, 5 ans plus tard, aussi bien ma moitié que moi-même nous serions prêts à fuir ce système pour respirer et vivre normalement. D’examens en consultations, de soins en contrôles sanguins et de posologies en examens, nous revenons sans cesse au même point et ne trouvons plus la sortie. L’impression de répéter à l’infini le même cauchemar.

Bien évidement nous ne sommes pas utopistes au point de penser que tout va rentrer dans l’ordre et que cet ennui de santé va se résoudre comme par miracle avec ces doses inhumaines de chimio. Mon cancer est incurable, les médecins ne peuvent que gagner du temps en espérant que la recherche nous sauvera.

C’est d’ailleurs sur ce point précis que nous nous accrochons et se perdre dans ce dédale d’épreuves ne nous diminue pas l’espoir d’une issue plus concrète, mais le temps fait son travail et répéter  toutes les trois semaines le même rite ne nous procure pas un sentiment d’avancer, bien au contraire.

Dans ce labyrinthe, il faut respecter chaque étape, comme au premier jour du traitement. Passé l’attente interminable dans la salle du même nom, on peut commencer le jeu. Un premier petit débriefe avec le secrétariat d’accueil pour vérifier le poids, et l’identité. Ensuite, muni d’un bracelet d’identification on peut enfin jouer dans les couloirs tout en respectant l’ordre d’appel par son n°. Bureau 4 pour l’entretien avec une médecin généraliste, afin de faire l’inventaire de mon vécu sur la dernière période hors du labyrinthe. Ensuite je peux me déplacer dans ces couloirs qui tournent en boucle et vous ramènent tous au même point. Au bout de certains espaces il y a des portes vitrées avec à l’extérieur, un jardin de plantes méditerranéennes, mais l’accès est limité aux secours et nous devons retrouver la chambre 10 avant qu’elle ne soit prise par un autre occupant.

Un autre couloir m’avait, il y a déjà deux ans, amené dans une salle commune, avec comme dans une arène, au centre, un homme équipé d’aiguilles et de chariots remplis de fioles diverses. Autour, en étoile, des cabines individuelles avec un confort sommaire et un fauteuil de torture. Une fois sanglé sur ce fauteuil, point de possibilité de fuir et le spectacle de la souffrance des autres malades comme passe-temps.

J’ai un souvenir précis de ce moment et sais depuis à quel carrefour il faut éviter de bifurquer pour subir cette misère.

La chambre 10 est identique à la 8 et à La 9 qui elles-mêmes sont identiques à la 2 et à la 18. Murs blancs, lit blanc, sol et porte gris. Au plafond, le dessin d’un labyrinthe basique très régulier, composé de carrés et d’espaces de grilles d’aération.

Une fois installé, une infirmière vient vérifier mon identité que je dois lui décliner à voix haute et sans hésitation. C’est seulement dans ces conditions que j’aurai droit à ma dose qui pour le moment est en préparation dans la cuisine du pharmacien. Elle me connecte au système par le biais de ma chambre implantée et me fait patienter avec une prémédication qui va rapidement diffuser un certain brouillard dans mon espace resté conscient.

Un quart d’heure est passé et je suis maintenant connecté sur du Cabazitaxel, mon poison jusqu’en avril si je résiste suffisamment. Par habitude, je sais que cette injection dure environ 1 heure et qu’ensuite, sauf contre-indication je serai surement éjecté du labyrinthe.

Le pas incertain, je quitte l’hospitalisation de jour avec un vague souvenir de ce périple dans un espace désormais familier. Le labyrinthe, lui, ne me quitte pas, il fait partie de mon être, il est solidement ancré dans mon subconscient et va m’accompagner pendant trois semaines, avant de retenter ma chance avec une nouvelle dose.

L’attente insupportable du diagnostic

4 janvier 2017

L'annonce de la maladie est très souvent brutale et imprévue. Toute la famille s’en trouve perturbée. La période d’examen qui mène au diagnostic est une phase de doute et de peur. L'attente, souvent très mal vécue et peu partagée est rarement prise en compte par le corps médical. Il n’y avait pas de mots mais les regards en disaient long. L’angoisse est tellement forte que parfois l’annonce de la mauvaise nouvelle vient comme une libération.
"Enfin je suis au courant, je sais contre qui je vais me battre". Ça a été ma réaction en même temps que j’essayai de minimiser la peur d’une issue fatale trop soudaine pour mes proches. Nous avons décidé ce jour-là de nous battre ensemble. Ça ne veut pas dire que tout a été facile. Nous sommes bien entendu passés par des pleurs et un sentiment d’injustice.

20 centimètres de large sur mes étagères, c’est la place que prennent mes résultats d’examens, pour la plupart ratés, depuis 5 ans. A chaque prise de sang ou examen d’imagerie, on se plait à croire qu’une fenêtre va s’ouvrir ou qu’un temps de répit va nous permettre de vivre normalement quelques mois.

On ne se fait jamais aux mauvaises nouvelles. Il n’y a pas d’accoutumance ou de résignation dans ce domaine. La première annonce de la maladie avait demandé une confirmation, du moins des précisions pour voir l’étendue du désastre. Cette insupportable attente du diagnostic est encore présente et même bien installée puisque l’interprétation des résultats n’est jamais franche avec les médecins. Quand un résultat passe dans le vert, le toubib insiste exagérément sur les bienfaits du traitement, quand c’est l’inverse, un silence s’installe et si j’insiste pour obtenir un peu plus de précisions, il m’est souvent rétorqué que le résultat n’est pas significatif.

Et puis, il y a l’enchainement des examens. Il y a toujours un examen en plus à faire pour confirmer ou infirmer le diagnostic, donc l’attente est presque constante. C’est comme un combat de boxe qui round après round fait, pour ainsi dire, plier les genoux, mais il faut rester debout puisque dans ce combat il y a toujours un nouveau round ensuite.

Le cancer de la prostate à la particularité d’être très difficile à interpréter. A résultats équivalents sur un panel de malades, les réactions et conséquences seront très diverses. Les médecins les premiers restent très prudents sur leur diagnostic vital et s’en tiennent aux résultats à court terme qui l’un mis au bout de l’autre finissent par donner l’impression de gagner du temps. Comme si l’éponge fraiche et humide passait au ralenti sur le visage tuméfié du boxeur.

Dans le cas d’un diagnostic de cancer cantonné dans sa capsule (sans métastases) il est aujourd’hui tout à fait raisonnable d’être optimiste sur une vie, certes transformée, mais une vie sur la longévité. Entre traitements traditionnels et essais cliniques, les solutions sont de plus en plus efficaces et la majorité des décès sont causés par d’autres pathologies.

Dans le cas d’un cancer métastasé, le problème est insaisissable tant la variabilité de l’évolution est incertaine. Les médecins ne disposent à ce jour que de traitements identiques pour chaque patient alors que la mutation des métastases est propre à chaque malade. Quant aux essais cliniques, ils sont peu adaptés à la majorité des cas.

Le patient reste donc avec cette insupportable attente agrémentée d’une fatigue toujours croissante à cause des traitements mal adaptés parce que trop globaux.

Le mea culpa d’une infirmière Américaine.

1 janvier 2017

Le Huffington post a publié sur son site le texte d’une infirmière atteinte d’un cancer et qui d’un coup d’un seul se rend compte qu’elle n’avait rien compris aux patients qu’elle suivait.

http://www.huffingtonpost.fr/lindsay-norris/tout-ce-que-je-navais-pas-compris-sur-mes-patients-atteints-de/

Elle est gentille l’infirmière, mais vu l’étendue de son mea culpa, elle est surtout bien mal avisée et mal formée. Pour être plus direct, elle nous prend un peu pour des cons. Pourtant, tous les sujets soulevés par cette personne n’en reste pas moins intéressant à développer et pourquoi pas du point de vue d’un malade.

Je vous propose de reprendre au fil de mes futurs écrits les différents sujets abordés.

L’attente insupportable du diagnostic et des résultats d’examens, les non-dits des toubibs, les autres rdv pour compléter ce qui n’est pas pris en charge, les recherches sur Internet de solutions ou de réponses, mais aussi, la crainte de faire peur, comment parler à son entourage son conjoint, ses enfants, comment préparer une séparation définitive ou développer un avenir hypothétique, les regards apitoyés des autres, des proches et des moins proches, l’exclusion du travail, des amis, la culpabilité, les questionnements sur soi-même, la gestion de la fatigue, le "courage", les modifications du corps, comment vivre sa déchéance physique, l’impression de devenir dingue, les sauts d’humeur…

Je ne vous garantis pas de tout traiter dans l’ordre car, bien évidemment, il y a l’actualité de mon voyageur clandestin qui prime, mais il me semble tout à fait possible d’associer les deux.

Commençons l’année en douceur en restant sur ce nuage qui accompagne les lendemains de réveillons, même si le mien était plutôt sobre et modeste. Bonne année 2017 à tous et à bientôt pour de nouvelles lectures.