Recette du temps qui passe

26 octobre 2016

Aujourd’hui, je viens de réaliser un rêve de gosse, l’élégance et l’enchantement de la nostalgie contre un confort trop artificiel, la possibilité de rallonger le temps, moi qui suis plus mortel que la plus part d’entre vous.

Le plaisir est une notion qui n’a de sens que s’il est partagé, et  c’est par le plus pur des hasards que dans une conversation avec ma moitié nous avons découvert cette envie commune de jouer avec le temps. En ce moment nous passons deux semaines sur trois en souffrance et la troisième semaine doit nous apporter toutes les satisfactions qui peuvent effacer ces frustrations de douleurs. Je dis "nous" parce que je vois bien les grimaces d’amertumes de ma moitié quand j’ai mes propres tourments. Alors je ne vous parlerai pas de ma journée en chimio que je vais passer demain ou du bilan intermédiaire de la deuxième cure de cette quatrième chimio. Non je ne vous en dirai rien.

Je vais vous parler des promenades que nous allons effectuer dans notre dernière acquisition, une machine à bonheur, une Peugeot 203 de 1959.



Cette mécanique à enchantement va nous permettre de nous évader en dehors du temps. Que ce soit une balade dans l’arrière-pays Montpelliérain près de chez nous ou un voyage en Bretagne, il faudra compter deux fois plus de temps pour atteindre son but tout en se pavanant dans ce confort que vous donne ces voyages. Fini les autoroutes, plus besoin d’une commodité électronique avec limiteur de vitesse pour ne pas s’approcher trop vite de la mort. Maintenant ce sont minutes après minutes, bonheurs après plaisirs. Pour le moment, l’expérience de ce voyage dans le temps n’a duré que la distance des Cévennes au Pic Saint Loup pour garer notre nuage de nostalgie dans notre espace de vie.

Gamin, les départs en vacances étaient toute une aventure. Mon père était en plein stress et boostait toute la famille pour nous obliger à se mettre à son rythme. Résultats nous arrivions souvent à la gare avant même que le train ne soit à quai. Malgré cette frénésie de départ sous tension, je prenais toujours le temps de découper en image tout ce que je pouvais accrocher comme  détails. Le moindre boulon de la locomotive ou des marches du wagon n’avait pas de secret pour moi. Les sons, les odeurs éveillaient des envies ou des souvenirs. Les voitures ou trains ne roulaient pas vite, s’arrêtaient souvent et permettaient à chaque rêveur de remplir sa malle à souvenirs avec tous ces paysages et ces gens rencontrés. C’est à ce rythme que je conçois les voyages.

L’insupportable chimio est de retour

07 octobre 2016

Si vous êtes lecteur assidu de ce blog, vous avez surement eu l’impression en consultant mes messages d’avoir déjà lu ça une autre fois. Je suis désolé, mais j’ai également le sentiment de me répéter et parfois de ressasser mes vieux démons. Pourtant, à chaque nouvelle expérience de chimio, je découvre de nouvelles sensations.

Hier, était ma journée de retour en enfer. La toubib qui m’a accueilli en consultation avant l’injection du poison était particulièrement attentive et prévenante avec un réel intérêt sur mon ressenti et ma vie privée, très sympathique. Pour la première fois depuis 4 ans, surement à la vue de mon regard de cocker, elle m’a proposé une consultation avec la psy de service. Invitation que j’ai déclinée. Elle s’ait alors retourné vers ma moitié et lui a proposé également cette entrevue. 4 ans pour qu’un médecin voit que je n’étais pas seul. Je la remercie du fond du cœur.

Nous avons ensuite fait l’inventaire des nouvelles peu encourageantes de la scintigraphie. Même si après trois mois sans traitement il fallait prévoir une progression des métastases, je ne m’attendais pas à une invasion. Une agression des différents foyers d'ostéose (métastases osseuses) est très nette. Je suis atteint aux trois étages du rachis, aux cotes, au sternum, sur les omoplates, le bassin, la voute crânienne, la région peri-orbitaire, les fémurs...

Pour la suite de l’hospitalisation de jour, je n’ai rien de nouveau à préciser, c’est devenu une routine et le moment de l’injection pour ce produit ne provoque aucun désagrément. C’est l’après qui est plus difficile à gérer et pas plus tard que dans les quelques heures qui ont suivi.

Malgré la forte dose d’antalgique, des douleurs très vives se sont fait sentir sur la liste non exhaustive des métastases que j’ai citées plus haut. La bête s’est surement sentie agressée et la réaction a été particulièrement violente. Ce ne sont pas des douleurs qui vous font grimacer, elles vous font hurler ; de la torture.

Ensuite au bout des deux à quatre jours de douleurs qui vont s’atténuer crescendo, viendra pendant 5 jours, la période des piqures quotidienne de Zarzio, pour contrer la perte d’immunité provoqué par cette merde. Puis rapidement les examens pour se préparer aux autres injections.
Tout compte fait, il me restera environ trois semaines de libre pendant les trois mois à venir pour souffler un peu et essayer de penser à autre chose, peut-être un bref séjour pour se dépayser.

Un séjour pour profiter à deux d’autre chose. J’ai l’impression d’être un boulet. J’ai peur de montrer ma douleur, de crainte de faire mal, et particulièrement à la femme de ma vie qui ne lâche rien et est toujours présente. A deux on est plus forts et surtout, je suis plus fort grâce à elle.

Lorsque son conjoint tombe malade, c’est toute la vie du couple qui bascule. La maladie a ses rythmes, ses obligations qui sont imposé à l’autre. Quand on vit tous les jours le cancer de sa compagne ou de son compagnon, les sentiments se mêlent, la peur, la douleur psychologique qui peut devenir physique, les doutes et la peine, mais aussi et surtout la colère d’un état de fait que l’on subit.

En couple avec un cancer, dans ce ménage à trois, il faut garder en mémoire que toute la vie est bouleversée. Le malade est en souffrance psychologique qu’il peut vous faire subir et vous transmettre, mais il a également la sanction physique qu’il ne peut partager avec personne, sinon par des mots et des sauts d’humeurs. Du coté des sauts d’humeurs, je n’étais pas en reste au début de ce voyage et ma moitié m’a bien assagit avec sa douceur.

Je me suis souvent demandé si on changeait les rôles, est ce que j’aurai autant de courage ?

Le cancer qui m’a pourri la vie n’est pas celui que l’on croit

02 octobre 2016

Je ne reviendrai pas sur la méthode acrobatique du premier oncologue qui m’avait annoncé ma mort prochaine en me parlant avec ses yeux et en me confiant son numéro de tel perso au cas où, même le week-end…

Quand un cancer vous prend, il invite très rapidement d’autres dommages collatéraux à s’immiscer dans votre quotidien. Certains vous tiendront tout un chapitre sur ces métastases ou ces adhérences qui vont vous ruiner. Mais ce qui est moins exposé, sont les autres maux, les autres métastases, bien plus insidieuses.
Les banques, les assurances, la CAF, la sécurité sociale ou le RSI, dans mon cas. Toutes ces administrations, plus ou moins sociales, qui vont vous miner jusqu’à, dans certains cas, vous priver de vos droits au moment où vous n’avez plus la force de combattre ces cancrelats.

Nous sommes en 2016 à la veille d’élections, dans un monde en crise, dominé par des oligarques qui organisent les paradis fiscaux et les fuites de capitaux, où la dette publique justifie tout. Les salaires des grands patrons, ministres, sénateurs et députés ne vont pas diminuer, mais le budget de la santé, lui, va fondre et va supprimer plus de 20 000 postes.
Les suspicions de fraudes aux aides sociales vont bon train et les contrôles inopinés de la CAF ou d’autres organismes sont fréquents.
Je ne vais pas vous faire une nouvelle version édulcorée de Germinal, mais simplement vous expliquer comment une personne affaiblie par la maladie, va vivre son entrée dans une forme de précarité.

Quand le cancer a pointé son nez en 2012, cela faisait 8 ans que j’avais créé mon entreprise. Un goût très prononcé de la liberté m’y avait poussé. Peu importe, l’entreprise était florissante, le poids des cotisations du RSI aussi énorme soit-il ne m’empêchait pas de gagner correctement ma vie et de faire vivre confortablement ma famille.

Deux ans plus tard et une perte de chiffre d’affaires de 75% consécutive à ma maladie, je suis dans l’obligation de cesser mon activité et de rechercher un repreneur. Le RSI m’octroie des indemnités journalières d’un peu plus de 24 € par jour. C’est précisément à ce moment-là que l’on mesure le prix de la liberté.

La vente se concrétise enfin en août 2015 et après environ 30% de la somme versé aux impôts, il me reste un peu d’économies pour palier à la perte de revenus.
Entre temps, le cancer gagne du terrain et me fait perdre de la mobilité. La CAF dans le cadre d’une indemnité « Handicap » a décidé de m’allouer une APL. Je n’ai fait aucune démarche en ce sens, n’ai rien demandé, j’ai simplement en toute transparence fait une déclaration de mes revenus et de mes aides comme la prise en charge de l’assurance pour le prêt immobilier.

Finalement, ce n’est pas optimal mais nous pourrons nous en sortir.

Hé puis, en quelques mois, tout bascule. Cela fait trois ans que je suis en indemnités journalières, c’est la fin il va falloir passer en invalidité. Je suis convoqué début mai par le médecin conseil du RSI. Au même moment je suis invité par un expert médical auprès des tribunaux pour l’assurance CARDIF qui couvre mes prêts. L’assurance cessera de payer les échéances tant que je n’aurai pas mon statut d’invalide.

Le médecin du RSI me donne des instructions précises. Il faut faire un courrier juste 1 mois avant début août, pour qu’il valide mon statut d’invalide qu’il a déjà entériné dans sa consultation. 1 mois, pas plus pas moins et juste un courrier. L’instruction est simple mais le soir même j’apprends par les infos que cette procédure a évolué selon un nouveau décret mis en application début juillet. Il faut remplir un dossier. Je transmets ce document complété en lettre AR fin juin, début juillet.

Courant juillet, contrôle inopiné d’un inspecteur de la CAF qui me soupçonne de fraude sur l’APL.

Fin juillet, je n’ai plus aucuns revenus et les échéances de prêts tombent. Le mois d’août se passe, puis septembre et malgré trois relances par mail et téléphone je n’ai toujours pas de retour de la CAF ou du RSI. La banque me met un peu la pression, le compte commence à s’empourprer et moi je deviens vert.

Le premier à se manifester par courrier recommandé est la CAF. Suite à la fraude supposée je dois rembourser environ 7900 euros de trop perçu représentant l’erreur administrative de la Collaboratrice de la CAF qui a mis en route l’APL.

Le RSI enfin, par simple courrier, me notifie l’accord du statut d’invalide avec indemnités à partir de septembre. D’après leurs textes il faut 2 mois pour faire la demande et non 1 comme le médecin du RSI m’avait signifié. Je n’ai donc aucun versement pour le mois d’août. Tout est décalé de 2 mois à partir de la demande. J’avais à l’époque demandé conseils à l’assistante sociale du centre du cancer où je suis traité, cette dernière s’était déclaré incompétente face aux problèmes du RSI.

HAAAARRRRG !!!
 
Désolé, ça m’a échappé, un petit coup de nerf, une brève envie de meurtre, un malaise…

Pour info, le même problème pour des assurés de la sécurité sociale ne peut pas se produire. A la sécurité sociale, il n’y a pas de démarches à effectuer, pas de documents à remplir, le passage de la fin des indemnités journalières à l’invalidité se fait tout seul, automatiquement.

Les administrations nagent dans l’illégalité. Pas de réponses aux relances, pas de respect des délais avant saisis, courrier simple là où il doit être recommandé, attribution des préjudices aux assurés quand c’est un agent de l’administration qui a fait une erreur. L’important étant de récupérer des sommes pour justifier l’action de l’état contre la fraude.
Pendant ce temps la fraude fiscale qui représente une perte de 60 à 80 milliards d’euro a encore de beaux jours.

 A ce niveau de mes explications, j’ai perdu plus de 50% de mes revenus. Dans ce calcul, pour le moment, je n’inclus pas les menaces de trop perçu.

A ce degré, le Je, devient insupportable, c’est du Nous qu’il s’agit. Ma lente descente vers l’incertitude englobe toute la famille. Nous sommes dans la merde et nous risquons de perdre plus que notre fierté. Mes métastases et les cancrelats ont touché mes proches et les rongent. Mon épouse, mes enfants n’ont pas qu’à porter le poids de ma maladie et les doutes sur l’avenir que ça comporte, ils doivent encaisser la chute sociale que cela génère.

La notification du RSI pour mon invalidité qui ne prend pas en compte un mois de notre quotidien va tout provoquer au niveau des autres organismes. Pendant 1 mois je ne suis plus en indemnités journalières mais je ne suis pas en invalidité donc je n’ai pas de justificatifs de revenu et ne pourrais pas prétendre à des aides, assurance de prêts inclus. En terme clair, l’argent sort mais ne rentre plus. Pour une entreprise c’est un déficit, pour des particuliers c’est le ticket d’entrée dans une forme de précarité.

Le mot précarité et certes peut-être un peu fort. Mais qui peut supporter du jour au lendemain une perte minimum de 50% de ses revenus sans avoir de problèmes. Qui peut accepter de payer des préjudices causé par des tiers et de surcroît l’administration. Malheureusement, je le crains, les obstacles n’en sont qu’au début dans ce parcours de malade du cancer et cette belle administration nous réserve encore des surprises. Un malade du cancer qui ne meurt pas assez vite coûte trop cher à la société…