Le temps d’un cancer

22 mars 2015

J’ai vu récemment la vidéo du Dr Paul Kalanithi , un neurochirurgien de 36 ans du Stanford Medical Center qui témoigne de sa notion du temps après avoir appris qu’il était en phase terminale d’un cancer. La force de ce récit m’a bouleversé et très largement inspiré pour ce billet sur ma propre notion du temps qui a considérablement changé depuis l’annonce de mon cancer de la prostate métastasé il y a maintenant 3 ans.

Je me souviens très bien du contexte dans lequel l’annonce de la maladie m’a été faite et par-dessus tout, l’attitude du toubib à ce moment précis. Après quelques détails « techniques » et des précisions sur la gravité de la situation, il m’avait confié son numéro de téléphone personnel en me précisant que je pouvais m’en servir quand bon me semble, y compris le weekend. Là, je me suis vu mort quelques mois après cet entretien.

Suite à son exposé de la situation, le temps s’est figé pendant quelques heures et n’a jamais repris son cours habituel.
Le temps réel est différent du temps ressenti par le malade et reste une notion très subjective.

Si on vous demande quelle serait votre réaction à l’annonce d’une telle maladie, vous répondriez surement « je me dépêcherai de faire tout ce qui me tient à cœur ».
J’ai fait exactement le contraire, j’ai voulu ralentir le temps et découper chaque seconde.

Il y a deux stratégies pour gérer cette période, comme le lièvre et la tortue. Le lièvre se déplace aussi vite que possible. La tortue procède volontairement, sans mouvements gaspillés. Si le lièvre fait trop de faux pas, la tortue gagne. Si la tortue passe trop de temps à planifier chaque étape, le lièvre gagne. J’ai choisi de prendre le rôle de la tortue face à mon lièvre de cancer.

La priorité, l’urgence était de planifier le temps du traitement. Le toubib doit prendre le temps d’analyser au plus juste le cas particulier du malade qui le consulte et prendre toute la mesure de la gravité du diagnostic. Après la brutalité de l’annonce, vient le temps de l’assurance et du soutien de l’équipe médicale pour vous aider à lutter contre cet intrus.
Au début de ce voyage, j’ai su apprécier la disponibilité des soignants. Et puis rapidement deux notions du temps bien distinctes sont venues se confronter. Le malade disparaît pour ne laissé que la maladie. Le temps du toubib est pris dans sa pratique professionnelle, celui du malade renvoie directement à son espérance de vie. Cette confrontation du temps m’a incité à changer de médecin en quête de plus de disponibilité. Ce n’est que plus tard que j’ai compris ma réaction égoïste. Il suffit de regarder autour de soi dans un centre de traitement contre le cancer, pour mesurer à quel point un toubib est sollicité.

Le médecin exprime mieux sa disponibilité pour le patient à travers la qualité de sa présence et de son écoute qu’en fonction du nombre de minutes passée avec lui. Des consultations peuvent s’éterniser et rester vides de sens. Pourtant le temps compté de chaque consultation m’a souvent laissé dubitatif.

Et puis, il y a la patience du patient. Les heures d’attente dans les salles du même nom, les jours d’hospitalisation rythmés au timing des soignants. Le goutte à goutte des chimios et autres traitements. La disponibilité à toutes épreuves de l’ensemble des proches, les nuits blanches à méditer sur le sens de la vie. Nous errons dans le temps. Nous ne nous situons plus par rapport aux trois instances temporelles, du passé, du présent et de quel avenir ?

Le temps du cancer est aussi fait de moments de reconstruction personnelle. Après le doute, l’angoisse et la peur. Après l’accoutumance des douleurs morales et physiques vient le temps de l’apaisement, de la complicité dans le couple avec l’accompagnant qui est souvent seul dans sa souffrance morale. On se reconstruit mutuellement et on devient plus solide face à la maladie.

Toute ma vie j’ai couru après ce temps. Il aura fallu cette maladie pour me rendre compte que le travail n’est pas le seul guide dans ma vie. Aujourd’hui, je sais ne rien faire, je sais écouter, j’ai réappris à lire autre chose que des revues techniques et je me suis mis à écrire.

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