Parler du cancer ne serait que le fait des patients !!!

13 nov 2013

Texte de Camille qui vit le cancer de son père.

J’ai longtemps hésité avant d’écrire, peur que mon père lise mon témoignage de fille de… peur qu’il ait le sentiment que je viole son intimité, sa vie…  peur de lui faire mal, de le blesser. C’est un témoignage, un message  d’amour pour mon Papa, grand et fort, pour lui dire que je reste là malgré  la distance géographique qui nous sépare.
Je suis devenue une abonnée de votre blog pour mon père. Je crois qu’il ne s’y rend pas, moi je veille je lis les bonnes et les mauvaise nouvelles, mais quand vous en publiez des « bonnes »… hop je l’appelle et je lui glisse cela comme une douceur au téléphone. Mon père a un cancer de la prostate métastasé. Une récidive. Il a une soixantaine d’années, c’était et c’est un bel homme actif, artiste, qui a monté sa boite et aujourd’hui continue tant bien que mal à travailler malgré les douleurs, les piqures, les rendez-vous chez le cancérologue et les analyses de sang tous les 15 jours… d’ailleurs, à l’heure où j’écris, il doit être dans un avion pour Dubai (7 heures de voyage en classe éco pour un client, le tout en 48heures … est ce bien raisonnable)

Quand mon père a eu son « premier cancer », nous ne parlions plus depuis plusieurs années. Alors quand le cancer est revenu, c’était une première pour moi. Entre temps, nous avions renoué des liens, j’avais retrouvé mon 
père, lui, sa fille cadette, et nos rapports étaient ceux d’adulte à adulte. Le cancérologue a dit qu’il serait tranquille pendant au moins 10 ans…. Déjà le questionnement est venu… 10 ans, c’est rien quand on pense en avoir encore 40 devant soi….
Malheureusement quelques mois plus tard le cancer s’est révélé plus sévère que prévu.

Première chimio :
Première chimio au centre, que des femmes autour de nous. J’accompagne Papa, on essaie de sourire, avec son casque bleu sur la tête et ses moufles pour protéger ses ongles… il a l’air d’un ouzbèke…. Je tremble de l’intérieur, mais je fais bonne figure… je pars lui chercher à la pharmacie de quoi lutter contre la chute des cheveux même si je doute de l’efficacité de ces pilules.

Les métastases :
Pendant la chimio, on discute : «  il faudrait faire un scanner »,  il veut savoir à quel stade se situent ses métastases. J’appelle une amie radiologue et après la séance de chimio, en route pour le scanner. J’hésite entre l’accompagner chez le médecin ou rester dans la salle d’attente. 
Pudique, j’attends en regardant les allez-venues des patients. Un quart d’heure passe, il revient, s’assoit et m’annonce que les métastases sont partout sur le thorax, diffuses. La chute est lourde. Je prétexte une envie  pressante pour prévenir ma sœur, et la préparer à tenir le coup quand mon père l’appellera quelques minutes plus tard. Nous sortons hagards du centre de radiologie. J’embarque mon père dans les magasins, impossible de manger, faisons du shopping ! Totalement délirant vu la situation…. De la légèreté dans toutes les circonstances… non… oublier pendant quelques minutes le drame qui se joue là…

Le Zytiga :
Depuis, il a effectué une chimiothérapie lourde, qui l’a délesté de nombreux kilos et d’une perte de poids considérable, il a continué à travailler, sa passion. Puis il a reçu du zytiga, et jusqu’à présent le PSA diminue régulièrement depuis plusieurs mois…. Alors heureux ? Comment l’être quand vous vous sentez démuni face à la maladie ? Je ne peux pas parler en son nom, mais en tant que proche. Comment ne pas s’énerver contre le cancérologue qui propose au dernier rendez-vous d’ouvrir une bouteille de champagne parce que le PSA est si bas ?…. Et les douleurs du corps, et celles de l’esprit qui l’empêchent de dormir et l’obligent à lire compulsivement des piles de bouquins. Comment répondre seul à ses questions qu’ignore le cancérologue. Les heures de discussion où il s’interroge s’il doit arrêter de travailler pour se consacrer à qui ? à quoi ? Quel sens donner à sa vie, au temps qu’il lui reste. Comment savoir ???
Faut-il se réjouir d’une diminution légère de ses douleurs ? Le PSA est-il réellement un bon indicateur de sa santé ?
Des questions sans fin…. Et l’impuissance des proches…
Mon impuissance de fille, qui tantôt l’écoute, tantôt le « saoûle » de paroles pour ne pas qu’il flanche… cette même fille qui lui dit que coûte que coûte, il faut tenir, et qui s’effondre quand elle rentre chez elle. 
Qui ne veut pas perdre son papa, qui pense tous les jours à la mort, qui se finit par se demander si la vie a un sens…. Alors parfois au téléphone, je parle à mon papa, pas à la personne atteinte par la maladie, je lui parle de mes craintes, de mes soucis du quotidien, je lui demande des conseils, parce que lui me comprend… parce que je lui ressemble beaucoup je crois. Il m’écoute, et puis je culpabilise de lui parler de  « mes petits problèmes »….

Je culpabilise aussi quand parfois, après une longue conversation avec lui, je suis KO, incapable de le rappeler le lendemain, le surlendemain parce que c’est trop douloureux, parce que je dois me lever, continuer d’aller au boulot, de vivre avec mon conjoint, et d’essayer d’être heureuse malgré tout. Mon père est présent avec moi chaque jour… un sms, un coup de fil…., une pensée… je m’en veux d’être impuissante, de ne pas pouvoir l’aider, je m’insurge contre le mur de silence du cancérologue, qui soigne la maladie, mais semble se désintéresser de l’état moral du patient… Je n’imagine pas ma vie sans mon père, j’ai beau avoir 37 ans, je n’ai pas fini de me révolter contre cette réalité. « Tête de turc », les lecteurs et lectrices de ce blog, mon père, moi…. Nous avons besoin d’espace de parole, nous avons besoin d’être accompagnés. Merci à l’auteur de ce blog d’avoir ouvert une porte, il semble malheureusement que la communication, la circulation de la parole et la diffusion des informations soient d’abord le fait des patients. 

Camille.

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